Le concept de tolérance zéro a refait son apparition dans les médias à l’occasion des émeutes londonniennes et des réactions politiques qu’elles ont suscitées.
Un article du Monde(.fr) a attiré l’attention du Professeur Tournesol. Il se conclut sur une critique de cette doctrine, lui reprochant « d’envisager la délinquance uniquement sous un aspect répressif, c’est-à-dire d’omettre de l’analyse les facteurs sociaux et économiques qui mènent à des comportements délictueux. » Une lecture rapide de l’article du Monde laisserait même penser que la méthode est efficace mais a l’inconvénient d’être incomplète (le traditionnel oubli du « volet préventif » face au « volet répressif », comme ils disent). Pourtant, l’article mentionne (trop) brièvement une publication de Laurent Mucchielli qui a plusieurs mérites:
1. tout d’abord Laurent Mucchielli rappelle dans sa conclusion quelques vérités concernant les liens entre la doctrine de la « tolérance zéro » et la théorie de la « vitre brisée » :
« la théorie de la “ vitre cassée ” de Wilson et Kelling, dont l’expérience de police de New York s’est réclamée mais qu’elle a en réalité totalement dévoyé. Pour Wilson et Kelling, le rétablissement de la tranquillité publique dans les quartiers en difficulté devait passer par la transformation des modes de travail des policiers pour qu’ils s’insèrent dans le tissu relationnel d’un quartier et y jouer ainsi un rôle pacificateur et régulateur, en collaboration avec les habitants. «
2. ensuite Laurent Mucchielli tente d’analyser d’un point de vue critique l’impact de ces nouvelles méthodes policières sur la baisse de la délinquance, et il remarque que :
« 1/la criminalité avait commencé à baisser à New York dès 1991-1992, soit avant l’arrivée de Bratton ; 2/ des baisses de la criminalité parfois comparables à celle de New York ont eu lieu dans quantité d’autres grandes villes américaines qui n’ont pas mis en œuvre une politique de tolérance zéro (par exemple Boston, Houston, San Diego ou encore Dallas) ; 3/ une baisse de la criminalité comparable à celle des États-Unis a eu lieu également au Canada, pays dont les politiques policières et pénales sont profondément différentes. »
Laurent Mucchielli évoque enfin 3 explications à la baisse de la délinquance en amérique du nord dans les années 90 : la baisse du chomage, la baisse du nombre de jeunes, ainsi que la fin de « l’ère du Crack ».
Ce dernier élément est également mis en avant dans un excellent livre de Steven Levitt et Stephen Dubner, Freakonomics, dont j’espère avoir l’occasion de reparler sur ce blog. Pour être complet (on aurait aimé que l’article du Monde fouille un peu plus cet aspect-là et n’en rajoute pas sur la dualité éculée répression/prévention), Levitt et Dubner notent que c’est l’évolution du prix du crack qui a changé la donne, et non celle de sa consommation (qui n’a en réalité pas baissée significativement). C’est parce que la vente de crack est devenue un business moins rentable (dû à un effondrement des cours provoqué par une surabondance de l’offre) que les membres des gangs ont arrêté de tuer et de se faire tuer pour lui.
Par ailleurs, Levitt et Dubner insistent également sur le fait que ce n’est pas tant la diminution du nombre de jeunes qui a joué un rôle dans la baisse de la criminalité ; ils « corrèlent cette baisse avec l’arrivée à maturité des enfants nés avec la légalisation de l’avortement [et] expliquent cette corrélation par le fait que lorsqu’un enfant n’est pas désiré, il a plus de risque de basculer dans la criminalité » (extrait de wikipedia).
Enfin, ils retiennent deux autres facteurs : le durcissement des peines de prisons et l’augmentation des effectifs de police. Ils rejettent la baisse du chomage comme facteur déterminant (je dois dire que c’est l’un des passages les moins convainquant et rigoureux du livre – page 163, avec par exemple l’évocation assez vague et non sourcée de « plusieurs études crédibles »).