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Les mathématiques financières dans la tourmente 17 avril 2009

Filed under: Objectif Lune — professeurtournesol @ 04:24

Les attentes de nos concitoyens sont contradictoires : d’un côté beaucoup exigent de la science et de la recherche qu’elles soient plus « utiles » (ce qui est un tort selon moi) et plus en prise avec le monde réel (la science l’a toujours été), et en même temps se scandalisent promptement devant les conséquences (avérées ou non) malheureuses de certaines applications de la recherche.

L’exemple des mathématiques financières est à ce titre emblématique : un ancien premier ministre a même poussé l’indignation jusqu’à s’insurger contre (on n’est pas loin du point Godwin)

les professeurs de maths qui enseignent à leurs étudiants comment faire des coups boursiers. Ce qu’ils font relève, sans qu’ils le sachent, du crime contre l’humanité

Les lecteurs intéressés par ce sujet pourront lire dans la gazette des mathématiciens une ébauche de réponse à cette affirmation, qui est reprise dans un dossier complet disponible sur le joli site Images des Mathématiques.

Les origines de la crise

Rappelons que la crise économique que nous vivons aujourd’hui tire ses origines de l’effondrement du marché du crédit aux Etats-Unis, effondrement dû à la multiplication des crédits immobiliers à très haut risque (les fameux subprimes). Les germes de la crise ne se trouvent pas dans des modèles mathématiques inappropriés ou dans un quelconque projet Manhattan financier, mais dans des pratiques commerciales malsaines et risquées (et en même temps très profitables) de la part de certains organismes bancaires et de crédit américains.

D’une crise bancaire à une crise économique

Une économie basée sur le crédit repose beaucoup sur la confiance que s’accordent entre eux les organismes prêteurs, ainsi que sur la confiance que ces derniers ont dans la solvabilité de leurs débiteurs. A partir du moment où un nombre significatif de débiteurs des crédits à haut risque ont commencé à être incapables de rembourser, les taux variables de ces subprimes se sont envolés (oui, les risques étant mutualisés, tout va bien tant que tout le monde ou presque rembourse, mais …), entrainant de nouveaux cas d’incapacité à rembourser … la machine infernale était lancé.

La machine s’emballe réellement lorsque la banque d’investissement Lehman Brothers fait faillite, échouant dans sa tentative de solder ses positions sur les crédits immobiliers à risques. Pris de paniques, et bien incapables (l’opacité du monde de la finance étant telle) de recencer leurs actifs toxiques (ceux liés aux subprimes ou aux établissements bancaires en difficulté), les organismes préteurs se montrent de plus en plus frileux … et ne prêtent plus ! C’est là que l’économie réelle commence à être touchée : la plupart des petites et moyennes entreprise ne peuvent survivre sans le crédit, et de son côté le marché de l’immobilier (une des dynamos de l’économie) repose sur la demande des acheteurs qui, s’ils ne peuvent plus emprunter, n’achèteront plus.

A cela s’ajoute les effets d’aubaine (les grands groupes qui « profitent » de la crise pour mettre en oeuvre des plans sociaux déjà dans les tiroirs) et des phénomènes d’anticipation.

Et la finance dans tout ça ?

C’est ici que les marchés financiers (grands anticipateurs -et bien mauvais oracles- devant l’éternel) ont joué un rôle d’accélérateur de la crise. Les investisseur, touchés par la crise du crédit (mais surtout, incapables de déterminer à quel point ils sont touchés), anticipent la crise à venir et cèdent leurs positions tant qu’il est encore temps (une variante en forme de « sauve-qui-peut » de la grande liquidation avant fermeture). Qui dit vente massive d’actifs dit baisse des cours, cercle vicieux, etc … la crise du crédit engendre une crise économique, accélérée par la panique des marchés, … la crise financière nourrit alors la crise économique, et réciproquement. 😦

Deux remarques avant de tenter d’expliquer le rôle des mathématiques financières dans toute cette histoire. Tout d’abord la finance et l’économie réelle ne suivent pas forcément la même courbe (on peut très bien avoir une économie florissante et des marchés financiers en berne, et réciproquement – aujourd’hui les deux ont plongé), ensuite le capitalisme financier n’a pas attendu les mathématiciens pour engendrer des crises qui semblent endémiques.

Un peu de mathématiques

Tachons de faire simple (jusqu’à la caricature). Disons que l’un des moyens les plus simples de modéliser un système dynamique déterministe, ce sont les équation différentielles ordinaires (disons du premier ordre), par exemple

y’=f(y)

Elles se présentent comme une formule impliquant un phénomène (y), sa vitesse (y’), éventuellement son accélération (y ») , … et un certain nombre de paramètres. Résoudre une telle équation revient à déterminer y, c’est-à-dire décrire explicitement le phénomène étudié. Plusieurs problèmes peuvent se présenter : tout d’abord on ne sait pas toujours calculer exactement la quantité y recherchée mais plutôt une solution approchée, ensuite la modélisation choisie (par exemple les paramètres de l’équation) ne représente jamais parfaitement la réalité. C’est la raison pour laquelle on va devoir confronter la solution trouvée avec les mesures effectuées, et (par exemple) corriger l’équation … c’est de l’analyse rétrograde (ou backward en anglais).

Pour modéliser des phénomènes aléatoires (comme le cours d’une action) on introduit un bruit blanc b qui représente une sorte « d’activité ambiante aléatoire » (par exemple, dans les phénomènes vibratoires comme le son, cela représente un bruit de fond dans lequel toutes les fréquences sont présentes avec la même probabilité – d’où le nom de bruit blanc !). Il faut alors considérer des équations différentielles dites stochastiques , de la forme

y’=f(y)+g(y)b

Ici encore on peut faire de l’analyse rétrograde pour ces équations. De ce que j’en comprends, ce sont les ingrédients mathématiques principaux à l’oeuvre dans le fameux modèle de Black-Scholes si célèbre dans la communauté des Quants (pour « financiers spécialistes des méthodes quantitatives »), introduit en 1973. Petite remarque : ici peu importe que le phénomène soit intrinsèquement aléatoire ou qu’il nous paraisse simplement l’être parce que nous ne sommes pas capables d’en intégrer tous les paramètres.

Depuis les années ’70 et le modèle de Black-Scholes les outils mathématiques ont joué un rôle grandissant dans le monde de la finance. Au départ outils de prévision et d’investissement (qui débouche sur une stratégie visant à décomposer les risques de long terme en de multiples petits risques de court terme), les mathématiques financières ont fini par transformer les marchés eux-même en les rendant plus volatiles. C’est un phénomène comparable à celui que connaissent les assureurs de voiture : la plus grande sécurité des véhicules pousse de nombreux conducteurs à prendre d’autres risques ; ici ce sont les produits dérivés* qui jouent ce rôle. Contrairement à un phénomène physique qui vis sa vie indépendemment du modèle qui le représente, ici l’existence de modèles influe sur les acteurs des marchés.

On voit donc que, si les modèles mathématiques ne sont pas à l’origine de la crise, ils ont en tout cas participé à son agravation dans son aspect financier, dans la mesure où ils ont joué un rôle important dans la volatilisation excessive des marchés.

De l’imperfection des modèles

Il est également un aspect des modèles mathématiques qui joue un rôle important : leur imperfection (et donc, leur perfectibilité). Un modèle n’est pas la réalité ; si les scientifiques le rappellent souvent, ils ne sont pas entendus pour autant. Nombre de politiciens, de financiers, d’économistes, ne prennent pas le temps d’écouter les mises en garde du savant sur les limites de la technologie qu’il apporte, fascinés qu’ils sont par l’efficacité de celle-ci.

En effet, les mathématiciens financiers et probabilistes disent depuis quelques temps déjà que

  • les « lois » de la finance ne sont pas des lois physiques ;
  • le modèle de Black-Scholes a un domaine de validité restreint (marchés stables et fluides).

Quel économiste, quel homme politique, a pris la peine de les écouter avant la crise ?

Enfin, pour être tout à fait exhaustif il faut mentionner que le mathématiciens franco-américain Benoît Mandelbrott a développé un modèle d’évolution des cours de bourse basé sur la géométrie fractale. Mieux (ou pire, c’est comme vous préférez), le mathématicien américain James Simons a créé en 1982 un hedge fund qui emploie des scientifiques (mathématiciens, physiciens, astrophysiciens, statisticiens) non-spécialistes de finance … une stratégie qui semble payante !

Voilà, les connaisseurs (économistes et mathématiciens) vont probablement hurler à la simplification excessive, et les néophytes m’auront peut-être trouvé trop technique. Soyez indulgent, ce genre d’exercice est loin d’être facile.

* les produits dérivés, directement issus des découvertes des scientifiques, couvrent
contre le risque de hausse ou de baisse des marchés. Sont ensuite apparus des produits
dérivés de deuxième génération qui couvrent contre les risques de variation quotidienne.
 

2 Responses to “Les mathématiques financières dans la tourmente”

  1. […] pas grand chose à voir avec les mathématiques financières. L’évocation répétée de la responsabilité des modèles mathématiques dans la crise est un contre-feux allumé par ceux qui voudraient éviter un débat de fond sur le problème posé […]

  2. […] crise des subprimes. Mais rassurez-vous, le système n’est pas intrinsèquement malsain, le problème ce sont les modèles mathématiques !   Laisser un […]


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