Le Blog du professeur Tournesol

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Enfumage 28 avril 2009

Filed under: Nouvelles de Moulinsart — professeurtournesol @ 10:59

Il semble que le décret sur le statut des enseignants-chercheurs, paru au Journal Officiel le 25 avril, diffère de la version sortie du CTPU (pour Comité Technique Paritaire des Universités, que le gouvernement doit obligatoirement consulter avant le passage du décret en Conseil des Ministres) le 25 mars . Voici ce que disait la version du CTPU :

Article 5 : « Lorsqu’ils accomplissent des enseignements complémentaires au-delà des 128 heures de cours ou 192 heures de travaux dirigés ou pratiques ou toute combinaison équivalente, les enseignants-chercheurs perçoivent une rémunération complémentaire »

Ce paragraphe était déjà source de polémiques : un certain nombre de personnes (dont le collectif de juristes « Défense du Droit ») disait qu’il laissait la porte ouverte à une modulation à la hausse du service d’enseignement sans paiement d’heures complémentaires.

De manière suprenante, la version publié au Journal Officiel est sensiblement différente :

Article 5 «Lorsqu’ils accomplissent des enseignements complémentaires au-delà de leur temps de travail tel qu’il est défini au présent article, les enseignants-chercheurs perçoivent une rémunération complémentaire dans les conditions prévues par décret»

« Le temps de travail tel qu’il est défini au présent article » ce sont les 1607 heures de la Fonction Publique. Et puisque la modulation de service implique que l’enseignant-chercheur modulé pour plus d’enseignement fait moins de recherche (ce qui reste à prouver), et donc ne dépasse pas ces 1607 heures, il est clait que les heures excédant les 192 heures de TD ne lui seront pas payées (seules le seront celles qui se situent au-delà du service modulé).

Le 24 avril on pouvait lire sur le site du Ministère de l’Enseignement Supérieur :

Le paiement des heures supplémentaires se fera au-delà du service de référence, une mesure qui existait jusqu’ici mais destinée à rassurer les enseignants-chercheurs craignant de se voir imposer plus d’heures d’enseignement.

Des preuves d’amours de ce genre, le ministère en donne tous les jours aux enseignants-chercheurs depuis plus de 3 mois !

« Il n’y a pas d’amour sans preuve d’amour. Et des preuves à la communauté universitaire, nous en donnons tous les jours. » (Valérie Pécresse, le 10 février 2009)

 

Bonne fête Madame la Ministre

Filed under: Tryphonneries — professeurtournesol @ 09:58

Aujourd’hui c’est la Sainte Valérie !!!
D’après ce que j’ai cru comprendre, dans la rue on fêtera aussi la Sainte Roselyne* 🙂

* Quelques mauvaises langues prétendent voir d'étranges similitudes entre la réforme des hopitaux
et celle des universités ...
 

De quoi l’autonomie est-elle le nom ? 27 avril 2009

Filed under: Nouvelles de Moulinsart — professeurtournesol @ 21:53

Si je vous dis « autonomie des universités » vous me répondrez probablement c’est chouette, c’est nouveau, c’est le progrès !

C’est nouveau ?

Il n’est pas entièrement certain que cela soit nouveau. Dans la Loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur (dite loi Savary) le mot « autonomie » apparaît 5 fois, comme ici :

Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel sont des établissements nationaux d’enseignement supérieur et de recherche jouissant de la personnalité morale et de l’autonomie pédagogique et scientifique, administrative et financière.


Cette autonomie tant réclamée par la Conférence des Présidents d’Université (CPU), et qui existe depuis 1984, n’est-elle pas un prétexte ? Si un simple texte législatif pouvait rendre les universités autonomes, pourquoi les présidents d’universités n’ont pas saisi cette opportunité avant puisqu’un tel texte existait ? En quoi la nouvelle loi LRU innove-t-elle en la matière ? Sur cette dernière question : la loi change l’organisation interne des universités en en imposant une nouvelle (tu parles d’une autonomie !) et transfert la masse salariale dans le budget de l’établissement.

C’est chouette ?

La nouvelle organisation (dans le novlangue on dit « gouvernance ») universitaire est la suivante : la plupart des anciennes instances (en particulier le Conseil Scientifique) deviennent purement consultatifs, le Conseil d’Administration et le président de l’université voient leur pouvoir et leurs attributions renforcés, et la gestion des carrières ainsi que des promotions se fait localement (plutôt que nationalement). Par ailleurs le nouveau mode de scrutin est majoritaire pour les élections du CA (i.e. comme pour les Conseils Municipaux), sauf qu’à l’université il y a plusieurs collège électoraux (Professeurs, Maîtres de conférence, personnel techniques et administratifs, étudiants) … ce qui rend un tel scrutain majoritaire un peu absurde (en plus de politiser inutilement les élections universitaires).

En plus de saborder les efforts du CNRS pour lutter contre l’endogamie (le recrutement local, le copinage, et autres joyeusetés) de certains établissement, cette nouvelle organisation remet à la fois le pouvoir adminsitratif et le pouvoir scientifique dans les mêmes mains (c’est une exception internationale ! Aux Etats-unis par exemple cette séparation est très marquée).

C’est le progrès ?

Si le progrès va dans le sens de l’augmentation drastique des droits d’inscription alors cette loi est assurément progressiste ! En transférant la masse salariale dans le budget des établissements, et sans l’assurance d’un financement récurrent de la part de l’Etat, il faudra bien que les universités trovent d’autres sources de financement. Et là certains présidents d’universités ont déjà une petite idée : Lionel Collet regrette par exemple qu’ « on nous donne l’autonomie des dépenses mais pas celle des recettes, notamment sur les frais d’inscription », de son côté l’OCDE émet la recommandation suivante pour la France :

Enseignement supérieur. Élargir l’autonomie des universités au-delà de ce qui a été réalisé en 2007, surtout pour la gestion budgétaire, le recrutement et la rémunération du personnel. De plus, bien qu’on ait facilité les donations de fondations privées aux universités, de nouvelles mesures sont nécessaires pour favoriser le financement privé des universités, notamment en ayant davantage recours aux droits de scolarité, cette mesure se doublant de prêts étudiants remboursables en fonction du revenu ultérieur.

Concernant la donation privée et le mécénat pour financer les universités françaises : d’une part les élites françaises ne seront pas promptes à investir dans l’avenir de l’université (j’ai déjà expliqué pourquoi ici), d’autre part on constate que la première fondation d’entreprise universitaire semble être pour l’heure essentiellement financée par des fonds publics …

La dernière source de financement envisagée par la loi LRU pour pallier au désengagement de l’Etat est la capitalisation des universités (en rendant les universités propriétaires de leurs bâtiments). On a vu que la loi a soigneusement évité de s’inspirer des exemples de réussite étrangers (notament les USA) pour ce qui est de l’organisation interne de l’université ; en revanche elle n’hésite pas à s’inspirer de ce qui échoue ! La dégringolade brutale des marchés financiers (source de financement de nombre d’universités américaines, qui sont capitalisées et possèdent même parfois leurs propres fonds d’investissement) a provoqué des coupes franches dans les budgets de la plupart des universités outre-atlantique (le MIT a par exemple vu son budget baisser de 16% !). Est-il raisonnable que la variation des cours de bourses décide des budgets des universités. Il me semble que l’enseignement supérieur et la recherche sont des services publiques : si une baisse des budgets doit avoir lieu (pourquoi pas) c’est à nos concitoyens, via leurs représentants, d’en décider.

On l’aura compris, l’autonomie n’est que le prête-nom d’un projet politique qui ne s’assume pas (tout simplement parce que les citoyens n’en voudraient pas). Ce n’est que lorsque la situation sera irréversible que viendront les mauvaises nouvelles comme l’augmentation brutale des droits d’inscription.

A quand la possibilté d’acheter une action « université machin-chose » !?

 

Louvain fait monter la sauce

Filed under: Nouvelles de Moulinsart — professeurtournesol @ 06:46

Demain commence à Louvain un sommet européen qui réunit pendant deux jours, comme tous les deux ans, la conférence ministérielle pour « évaluer les progrès accomplis et les nouvelles mesures à mettre en place » dans les universités et faire le point sur les réformes universitaires engagées et celles à mettre en œuvre.
Depuis samedi se tient un contre-sommet regroupant des étudiants de toute l’Europe. L’existence de ce contre-sommet atteste que, contrairement à un préjugé fort répandu, la mobilisation universitaire n’est pas un épiphénomène franco-francais :

  • en ce moment, une grève générale étudiante gagne les universités croates ;
  • à l’occasion d’un referendum organisé dans leur université, 93,1% des étudiants de l’université de Barcelone se sont prononcés pour le gel du processus de Bologne, qui vise (intention louable) à créer un grand espace européen (un marché ?) de l’enseignement supérieur, et qui inspire largement certaines réformes nationales.

Comme beaucoup de citoyens, les étudiants européens ont le sentiment que l’Europe se construit malgré eux, voire contre eux, et leur impose des réformes qu’ils jugent néfastent.

 

Une Manif Pondeuse 23 avril 2009

Filed under: Tryphonneries — professeurtournesol @ 23:03

La préfecture du Rhône n’est pas très prévoyante : hier la traditionnelle manifestation universitaire du jeudi a malencontreusement croisé la caravane UMP en campagne pour les européenees. Chacun avait l’autorisation de la préfecture, qui n’a semble-t-il pas envisagé qu’il puisse être peu judicieux que des opposants aux réformes gouvernementales croisent des militants du parti au pouvoir …

Quelques centaines de personnes ont effectué une farandole pacifique autour de la caravane pendant une grosse demi-heure. C’est au moment de quitter les lieux que l’irréparable a été commis : de jeunes terroristes ont projeté deux oeufs (vous rendez-vous compte ?!) sur la caravane, provoquant la colère justifiée du président de l’UMP Xavier Bertrand qui, sous le coup d’une émotion sincère, déclare avec quelque approximation que “200 jeunes cagoulés auraient caillassé la caravane UMP pour les européennes à Caluire” (c’est vrai quoi, soyons precis : la scène s’est déroulée dans le centre de Lyon, pas à Caluire !).

De son côté Lyon Capitale, journal lyonnais bien connu pour son marxisme rampant, accuse hypocritement l’UMP d’intoxiquer la presse avec cette histoire d’oeufs.

 

Fillon : l’université décline

Filed under: Nouvelles de Moulinsart — professeurtournesol @ 06:06

Selon Francois Fillon

on a une université qui depuis des années décline avec des classements internationaux mauvais

Ce que le premier ministre appelle décliner (Fillon n’est-il pas d’ordinaire un grand pourfendeur de « déclinologues » ?) ce sont les statistiques suivantes (d’après l’université de Shanghaï*) :

2003 … ? … ? …. 9 …. 2
2004 … 6 … 3 … 13 … 2
2005 … 6 … 3 … 13 … 2
2006 … 6 … 3 … 12 … 2
2007 … 6 … 3 … 12 … 2
2008 … 7 … 4 … 14 … 3

La première colonne indique l'année, la deuxième le rang mondial de la France, la troisième son rang
européen, la quatrième le nombre d'universités françaises parmis les 100 premières en Europe, et la
dernière le nombre d'universités françaises parmis les 25 premières en Europe.

A bien y regarder, la France n’est-elle pas tout simplement à sa place ? Par ailleurs, il convient d’ajouter que le classement de Shanghaï est l’objet de vives critiques concernant sa méthodologie , notament par des scientifiques de premier plan comme Albert Fert (prix Nobel de physique).

* Rappelons que l'université qui publie ce fameux classement si polémique
n'est pas particulierement brillante ...

 

Rumeur et tremblements 21 avril 2009

Filed under: Nouvelles de Moulinsart — professeurtournesol @ 21:28

Une rumeur court sur le prochain départ de Lionel Collet de la présidence de l’Université Lyon 1 et de la Conférence des Présidents d’Universités pour devenir directeur de cabinet du remplaçant de Valérie Pécresse à l’Enseignement Supérieur et la Recherche (que d’autres rumeurs désignent comme étant Claude Allègre).

Si cela se confirme, les étudiants peuvent légitimement s’inquiéter de la question des frais d’inscription ; en effet, Lionel Collet est favorable à leur évolution, et selon l’Observatoire Boivigny il regrette qu’

on nous donne l’autonomie des dépenses mais pas celle des recettes, notamment sur les frais d’inscription

Tout un programme !

 

Les élites françaises et la recherche

Filed under: Nouvelles de Moulinsart — professeurtournesol @ 04:15

Le Crédit d’impôt Recherche (CIR) est une aide fiscale destinée à encourager les investissements des entreprises en matière de Recherche et Développement (R&D). Depuis le 1er janvier 2008 cette aide a été renforcée à l’initiative de Nicolas Sarkozy : la réduction d’impôt s’élève désormais à 30 % du volume des dépenses de R&D jusqu’à 100 millions d’euros, et elle est réduite à 5 % au-delà sans plafond ; le montant du CIR atteint en 2008 plus de 4,1 milliards d’euros (soit en gros le coût de la recherche dans les universités françaises) contre 1,6 l’année précédente.

Cet effort public visant à encourager la recherche privée est louable, mais est-il efficace ? La cour des comptes indique que le dispositif n’est pas encore suffisament évalué, et il se dit qu’à peine plus du tiers du CIR est effectivement réinvesti dans la recherche. Ces craintes sont renforcée par la lecture d’une lettre adressée à C. Lagarde par des représentants du personnel de Rhodia ainsi que par des propos peu glorieux (et assez cyniques) du Directeur de la R&D de cette entreprise :

Maintenant, le crédit d’impôt recherche abaisse, au niveau du groupe, le coût total de la recherche. Et nous avons enregistré ce gain au niveau du groupe : c’est 12 millions de cash supplémentaire. Alors que choisit de faire le groupe avec ces 12 millions ? Il choisit d’investir au niveau du groupe, soit dans de l’industriel, soit dans de la R &D, soit dans le remboursement de la dette, soit améliorer son résultat net… C’est donc effectivement de la gestion du cash au niveau du groupe.

Cette tirade est symptômatique d’un manque de culture de la recherche typiquement français, que l’on retrouve au sein de l’élite économico-politique de notre pays. En effet, nos « décideurs » sont pour la plupart issus des grandes écoles au sein desquelles la recherche est quasi-inexistente (si l’on excepte les écoles normales supérieures et l’école polytechnique) : ils sortent d’un moule unique au monde (dans tous les pays, les élites sont formées à l’université) et peu ouvert sur l’extérieur, et entretiennent bon nombres de préjugés sur la recherche et l’université.

Du fait de ces préjugés, les étudiants diplômés des meilleurs filières de nos universités rencontrent un réel problème à leur entrée sur le marché du travail. Les Masters sont largement dévalorisés par rapport aux diplômes d’ingénieur, du fait d’une prétendue absence de sélection à l’université. Pourtant, la seule sélection subie par un élève ingénieur a lieu à l’entrée en classe préparatoire (aujourd’hui, avec la multiplication du nombre des écoles, tout élève de classe prépa en intègrera une ; et le taux d’échec au diplôme dans les écoles d’ingénieurs est ridiculement faible) alors qu’un étudiant à l’université subi une sélection plus graduée mais bien réelle ! Quant à la qualité des enseignements dispensés, l’université tient largement la comparaison (et au-delà !).

Pire, nos titulaires de doctorats (PhD en anglais) en science fondamentale ont bien du mal à se faire embaucher en France, alors qu’ils s’arrachent comme des petits pains à l’étranger (aussi bien dans le milieu académique que dans le privé). Une fois encore, nos élites (dont les recruteurs de cadres supérieurs sont) entretiennent une image de professeur tournesol 😉 qui correspond bien peu à ce que sont réellement les chercheurs en général, et les jeunes docteurs en particulier.

Si le gouvernement tient sincèrement (qui en douterait ?) à améliorer l’investissement privé en matière de recherche, à renforcer les liens entre le monde de l’entreprise et celui de l’université, et à accroître l’attractivité des diplômes universitaires, alors il doit éviter de mettre la charrue avant les boeufs. Tous les dispositifs fiscaux du monde et toutes les réformes de l’université (elles ont été si nombreuses les 20 dernières années !) ne feront rien dans ce domaine si on ne change pas en profondeur les mentalités et (en conséquence) la formation des élites de la nation.

Deux solutions sont envisageables :

  • la première, assez radicale, consiste à mettre définitivement fin à la dualité universités/grandes écoles qui fait de la France une bien mauvaise exception, et à intégrer au sein des universités l’ensemble des filières dites d’excellence. C’est sans doute la meilleure solution (qui a en plus l’avantage de bénéficier d’un large soutient de la communauté universitaire, toutes opinions politiques confondues) ; mais il est probable qu’aucun homme politique n’aura le courage de s’aventurer sur ce terrain et d’affronter la corporation des ingénieurs …
  • la seconde possibilité, plus douce, serait d’encourager l’implantation de la recherche dans les grandes écoles et d’autre part de renforcer leurs liens avec les universités. Beaucoup d’entre nous (E-C dans les universités ou les écoles) s’y sont attelés depuis quelques années … mais le gouvernement semble vouloir décourager ces initiatives.
    Un exemple : après de multiples efforts pour y parvenir, le laboratoire dans lequel je travaille réunit des chercheurs de 4 institutions différentes (une université, un organisme de recherche, et deux écoles d’ingénieurs) ; mais aujourd’hui, sous prétexte de simplification administrative, le ministere veut réduire le nombre maximal de tutelles à 2 pour un laboratoire, réduisant ainsi à néant plusieurs années d’efforts pour amener des gens d’horizons différents à travailler ensemble … navrant.

Pendant ce temps à l’étranger (surtout aux Etats-unis), des entreprise n’hésitent pas à investir dans la recherche fondamentale sans en attendre forcément un retour à court terme.

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Ajout : cette analyse est développée avec beaucoup plus de talent que je ne le fais par Mathias Fink , cité par Sylvestre Huet sur son blog :

Les grandes écoles forment nos élites et les dirigeants de nos grandes entreprises mais, à quelques exceptions près, elles ne développent pas de véritables programmes de recherche et elles ne délivrent que très peu de thèses. Ce sont les universités qui sont principalement en charge de la recherche, de la formation par la recherche et des thèses. Leur paupérisation, le manque de souplesse de leur gestion et la médiocrité des salaires fragilisent cette mission. (…) Les grandes écoles forment des ingénieurs de très bonne qualité mais dont le cursus est très éloigné de la recherche. Très peu d’élèves ingénieurs font des thèses et, bien souvent, une thèse se révèle être une moins value pour une embauche dans une grande entreprise. Les patrons des grandes entreprises sont bien évidemment recrutés au sein de ces grandes écoles et l’absence d’une formation par la recherche dans leur cursus se ressent dans leur comportement.

 

Les mathématiques financières dans la tourmente 17 avril 2009

Filed under: Objectif Lune — professeurtournesol @ 04:24

Les attentes de nos concitoyens sont contradictoires : d’un côté beaucoup exigent de la science et de la recherche qu’elles soient plus « utiles » (ce qui est un tort selon moi) et plus en prise avec le monde réel (la science l’a toujours été), et en même temps se scandalisent promptement devant les conséquences (avérées ou non) malheureuses de certaines applications de la recherche.

L’exemple des mathématiques financières est à ce titre emblématique : un ancien premier ministre a même poussé l’indignation jusqu’à s’insurger contre (on n’est pas loin du point Godwin)

les professeurs de maths qui enseignent à leurs étudiants comment faire des coups boursiers. Ce qu’ils font relève, sans qu’ils le sachent, du crime contre l’humanité

Les lecteurs intéressés par ce sujet pourront lire dans la gazette des mathématiciens une ébauche de réponse à cette affirmation, qui est reprise dans un dossier complet disponible sur le joli site Images des Mathématiques.

Les origines de la crise

Rappelons que la crise économique que nous vivons aujourd’hui tire ses origines de l’effondrement du marché du crédit aux Etats-Unis, effondrement dû à la multiplication des crédits immobiliers à très haut risque (les fameux subprimes). Les germes de la crise ne se trouvent pas dans des modèles mathématiques inappropriés ou dans un quelconque projet Manhattan financier, mais dans des pratiques commerciales malsaines et risquées (et en même temps très profitables) de la part de certains organismes bancaires et de crédit américains.

D’une crise bancaire à une crise économique

Une économie basée sur le crédit repose beaucoup sur la confiance que s’accordent entre eux les organismes prêteurs, ainsi que sur la confiance que ces derniers ont dans la solvabilité de leurs débiteurs. A partir du moment où un nombre significatif de débiteurs des crédits à haut risque ont commencé à être incapables de rembourser, les taux variables de ces subprimes se sont envolés (oui, les risques étant mutualisés, tout va bien tant que tout le monde ou presque rembourse, mais …), entrainant de nouveaux cas d’incapacité à rembourser … la machine infernale était lancé.

La machine s’emballe réellement lorsque la banque d’investissement Lehman Brothers fait faillite, échouant dans sa tentative de solder ses positions sur les crédits immobiliers à risques. Pris de paniques, et bien incapables (l’opacité du monde de la finance étant telle) de recencer leurs actifs toxiques (ceux liés aux subprimes ou aux établissements bancaires en difficulté), les organismes préteurs se montrent de plus en plus frileux … et ne prêtent plus ! C’est là que l’économie réelle commence à être touchée : la plupart des petites et moyennes entreprise ne peuvent survivre sans le crédit, et de son côté le marché de l’immobilier (une des dynamos de l’économie) repose sur la demande des acheteurs qui, s’ils ne peuvent plus emprunter, n’achèteront plus.

A cela s’ajoute les effets d’aubaine (les grands groupes qui « profitent » de la crise pour mettre en oeuvre des plans sociaux déjà dans les tiroirs) et des phénomènes d’anticipation.

Et la finance dans tout ça ?

C’est ici que les marchés financiers (grands anticipateurs -et bien mauvais oracles- devant l’éternel) ont joué un rôle d’accélérateur de la crise. Les investisseur, touchés par la crise du crédit (mais surtout, incapables de déterminer à quel point ils sont touchés), anticipent la crise à venir et cèdent leurs positions tant qu’il est encore temps (une variante en forme de « sauve-qui-peut » de la grande liquidation avant fermeture). Qui dit vente massive d’actifs dit baisse des cours, cercle vicieux, etc … la crise du crédit engendre une crise économique, accélérée par la panique des marchés, … la crise financière nourrit alors la crise économique, et réciproquement. 😦

Deux remarques avant de tenter d’expliquer le rôle des mathématiques financières dans toute cette histoire. Tout d’abord la finance et l’économie réelle ne suivent pas forcément la même courbe (on peut très bien avoir une économie florissante et des marchés financiers en berne, et réciproquement – aujourd’hui les deux ont plongé), ensuite le capitalisme financier n’a pas attendu les mathématiciens pour engendrer des crises qui semblent endémiques.

Un peu de mathématiques

Tachons de faire simple (jusqu’à la caricature). Disons que l’un des moyens les plus simples de modéliser un système dynamique déterministe, ce sont les équation différentielles ordinaires (disons du premier ordre), par exemple

y’=f(y)

Elles se présentent comme une formule impliquant un phénomène (y), sa vitesse (y’), éventuellement son accélération (y ») , … et un certain nombre de paramètres. Résoudre une telle équation revient à déterminer y, c’est-à-dire décrire explicitement le phénomène étudié. Plusieurs problèmes peuvent se présenter : tout d’abord on ne sait pas toujours calculer exactement la quantité y recherchée mais plutôt une solution approchée, ensuite la modélisation choisie (par exemple les paramètres de l’équation) ne représente jamais parfaitement la réalité. C’est la raison pour laquelle on va devoir confronter la solution trouvée avec les mesures effectuées, et (par exemple) corriger l’équation … c’est de l’analyse rétrograde (ou backward en anglais).

Pour modéliser des phénomènes aléatoires (comme le cours d’une action) on introduit un bruit blanc b qui représente une sorte « d’activité ambiante aléatoire » (par exemple, dans les phénomènes vibratoires comme le son, cela représente un bruit de fond dans lequel toutes les fréquences sont présentes avec la même probabilité – d’où le nom de bruit blanc !). Il faut alors considérer des équations différentielles dites stochastiques , de la forme

y’=f(y)+g(y)b

Ici encore on peut faire de l’analyse rétrograde pour ces équations. De ce que j’en comprends, ce sont les ingrédients mathématiques principaux à l’oeuvre dans le fameux modèle de Black-Scholes si célèbre dans la communauté des Quants (pour « financiers spécialistes des méthodes quantitatives »), introduit en 1973. Petite remarque : ici peu importe que le phénomène soit intrinsèquement aléatoire ou qu’il nous paraisse simplement l’être parce que nous ne sommes pas capables d’en intégrer tous les paramètres.

Depuis les années ’70 et le modèle de Black-Scholes les outils mathématiques ont joué un rôle grandissant dans le monde de la finance. Au départ outils de prévision et d’investissement (qui débouche sur une stratégie visant à décomposer les risques de long terme en de multiples petits risques de court terme), les mathématiques financières ont fini par transformer les marchés eux-même en les rendant plus volatiles. C’est un phénomène comparable à celui que connaissent les assureurs de voiture : la plus grande sécurité des véhicules pousse de nombreux conducteurs à prendre d’autres risques ; ici ce sont les produits dérivés* qui jouent ce rôle. Contrairement à un phénomène physique qui vis sa vie indépendemment du modèle qui le représente, ici l’existence de modèles influe sur les acteurs des marchés.

On voit donc que, si les modèles mathématiques ne sont pas à l’origine de la crise, ils ont en tout cas participé à son agravation dans son aspect financier, dans la mesure où ils ont joué un rôle important dans la volatilisation excessive des marchés.

De l’imperfection des modèles

Il est également un aspect des modèles mathématiques qui joue un rôle important : leur imperfection (et donc, leur perfectibilité). Un modèle n’est pas la réalité ; si les scientifiques le rappellent souvent, ils ne sont pas entendus pour autant. Nombre de politiciens, de financiers, d’économistes, ne prennent pas le temps d’écouter les mises en garde du savant sur les limites de la technologie qu’il apporte, fascinés qu’ils sont par l’efficacité de celle-ci.

En effet, les mathématiciens financiers et probabilistes disent depuis quelques temps déjà que

  • les « lois » de la finance ne sont pas des lois physiques ;
  • le modèle de Black-Scholes a un domaine de validité restreint (marchés stables et fluides).

Quel économiste, quel homme politique, a pris la peine de les écouter avant la crise ?

Enfin, pour être tout à fait exhaustif il faut mentionner que le mathématiciens franco-américain Benoît Mandelbrott a développé un modèle d’évolution des cours de bourse basé sur la géométrie fractale. Mieux (ou pire, c’est comme vous préférez), le mathématicien américain James Simons a créé en 1982 un hedge fund qui emploie des scientifiques (mathématiciens, physiciens, astrophysiciens, statisticiens) non-spécialistes de finance … une stratégie qui semble payante !

Voilà, les connaisseurs (économistes et mathématiciens) vont probablement hurler à la simplification excessive, et les néophytes m’auront peut-être trouvé trop technique. Soyez indulgent, ce genre d’exercice est loin d’être facile.

* les produits dérivés, directement issus des découvertes des scientifiques, couvrent
contre le risque de hausse ou de baisse des marchés. Sont ensuite apparus des produits
dérivés de deuxième génération qui couvrent contre les risques de variation quotidienne.
 

Après la grève, les examens 16 avril 2009

Filed under: Nouvelles de Moulinsart — professeurtournesol @ 05:52

Le Monde publie un article intéressant (je vous supplie en revanche de ne pas lire les commentaires des abonnés … ils sont affligeants) sur les modalités du contrôle des connaissances (c’est comme ça qu’on appelle les examens officiellement) après la grève.

Les E-C en grève étant des gens responsables (je sais qu’un certain nombre de gens ont du mal à l’admettre, mais c’est une réalite), et dans la mesure où le conflit dans les universités dure, ils ont commencé à se poser la question des examens. La première solution (la plus logique) qui vient à l’esprit consiste à rattraper les cours qui n’ont pas eu lieu les samedis, les jours fériés, le soir … et éventuellement pendant les vacances d’été. Cette solution présente cependant deux inconvénients majeurs :

  • d’une part elle s’appuie sur l’hypothèse que la grève va s’arrêter rapidement, ce qui n’est (je le crains) malheureusement pas le cas. Il y a d’ailleurs une certaine ironie à voir Valérie Pécresse soutenir cette solution et dans le meme temps jouer la stratégie du pourrisement du conflit …
  • d’autre part elle ne tient pas compte d’une proportion importante d’étudiants qui travaillent le soir et l’été pour financer leurs études, ou qui sont en stage à cette période.

Une autre solution a été proposée : elle consiste à dire que pour les unités d’enseignement (UE) encore en grève 4 semaines avant la date de la fin des enseignements, et pour celles-là seulement, on procèdera à une validation automatique sans donner de note (afin de ne pas fausser les résultats des autres UE). De plus, pour les étudiants qui auront fait l’effort de travailler les cours mis à leur disposition en ligne par les E-C grévistes, de participer aux cours hors-les-murs, de venir poser des questions à leurs enseignants (l’immense majorité des E-C en grève sont disponnibles pour leurs étudiants, qui sont eux peu nombreux à participer aux cours hors-les-murs et à venir profiter de cette disponibilité pour nous poser des questions) … ces etudiants pourront s’ils le veulent refuser la validation automatique et passer une épreuve orale et/ou fournir un travail personnel qui sera noté. Cette solution (qui a ma faveur) a l’avantage

  • de gagner encore un peu de temps avant le point de non retour, en esperant (vainement) que la situation se débloque.
  • de ne pénaliser, ni les étudiants qui ne peuvent se libérer l’été (tous les étudiants ne sont pas de jeunes glandeurs inconsistant grassement financés par des parents irresponsables), ni les étudiants qui ont travaillé malgré la grève et qui souhaitent avoir un bon dossier pour présenter des concours, des écoles, etc …*

Il est logique, comme le rapporte l’article du Monde, que Lionel Collet, président de la Conférence des Présidents d’Universités (CPU), s’oppose à cette seconde solution. Comme beaucoup de ses collègues présidents d’universités, Lionel Collet est très (trop ?) préoccupé par son image et celle de son université (et il a peu apprécié, on peut le comprendre, de voir dans les titres de la presse locale il y a un mois que Lyon 1 soldait ses diplômes).

Enfin, je me permets de rappeler que ce sont quelques UE d’un semestre d’une année d’un diplome qui en compte 3 (d’années, ce qui fait 6 semestres) qui sont touchées. Qui peut croire que la validation automatique de ces quelques UE va totalement fausser la valeur des diplomes ?

* certains étudiants appartenant bien sûr aux deux catégories !!!